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Culture

L'auteur et son sujet fétiche (4) - Kim Yeon-su et la communication avec les autres (3)

2015-12-03

L'auteur et son sujet fétiche (4) - Kim Yeon-su et la communication avec les autres (3)
« Bonne année à tous », nouvelle de Kim Yeon-su traduite du coréen par Guillaume Barresi, Aurélie Gaudillat, Jeon Soo-jin, Kim Hee-ra et Lee Tae-yeon, sous la direction de Choi Mi-kyung et Jean-Noël Juttet, publiée dans « Nocturne d'un chauffeur de taxi » paru aux éditions Philippe Rey en 2014.

* Présentation de l'œuvre :
« Bonne année à tous » est une nouvelle publiée dans « Nocturne d'un chauffeur de taxi », un recueil de courts récits traduits du coréen sous la direction de Choi Mi-kyung et Jean-Noël Juttet, paru chez Philippe Rey en 2014. Le titre original complet de cette courte histoire est « Bonne année à tous – À Raymond Carver ». Pourquoi donc cette dédicace ? L'auteur explique qu'il a réalisé que son récit ressemblait à une nouvelle de l'écrivain américain qu'il traduisait à l'époque, « Les vitamines du bonheur ». Le récit de Kim Yeon-su a en effet la même structure que celui de Carver qui raconte l'histoire du narrateur, de sa femme et d'un ami de cette dernière.

* Extrait :
Pages 127 à 129 :
Quand j'ai découvert ce type à notre porte, je suis resté estomaqué. Pourtant ma femme m'avait bien annoncé la visite d'un ami indien, un certain Satbir Singh. En ce dernier jour de l'année, des nuages bas n'avaient cessé de courir dans le ciel. Notre visiteur m'a informé qu'il venait du Penjab. Je n'avais jamais, jusque-là, rencontré d'Indien et encore moins de Penjabi. D'ailleurs, je n'avais pas la moindre idée de l'endroit où se trouvait le Penjab. C'était la première fois que je voyais un visage aussi barbu et que je serrais une main aussi moite.
Le niveau de son coréen est venu ajouter une touche de déception à mon étonnement. Bien sûr, je ne m'attendais pas à ce qu'un Indien venu ici pour se faire de l'argent s'exprime aussi bien que vous et moi. Mais j'espérais tout de même pouvoir échanger des propos de quelque substance. J'ai dû me rendre à l'évidence : il avait les plus grandes difficultés à se faire comprendre. Je ne pouvais que garder les yeux fixés sur cet homme, sur son turban rose criard, ses yeux noirs luisants et la barbe qui lui mangeait la moitié du visage.
« Pas turban porter tous jours... Coréens aiment pas... Depuis usine, bus une heure. Dans bus soûls parler Al-Qaïda. Dans bus y a fils de chiens. Pas vrai ? Aujourd'hui fête, turban porter. »
Ce qui m'a le plus étonné, ce n'est pas de l'entendre dire qu'il portait son turban car c'était un jour de fête ou qu'il y avait des fils de chien dans les bus, c'est ce « pas vrai ? », manière amicale de rechercher mon approbation. Désarçonné, la main sur la poignée, je n'ai même pas pensé à lui dire « Entrez » ou « Enchanté », je lui ai juste posé quelques questions pour essayer de savoir pourquoi il parlait si mal notre langue. D'après les explications données dans un mélange de coréen et d'anglais – mais mon anglais ne valait pas mieux que son coréen –, j'ai compris qu'ils étaient une douzaine, tous du Penjab, en majorité des Sikhs, à vivre dans un conteneur appartenant à l'usine de meubles où ils travaillaient, qu'à tour de rôle ils préparaient des plats du pays et que s'ils ne parlaient pas coréen c'était no problem. Lui seul avait, pour une raison ou pour une autre, décidé cinq mois auparavant de suivre des cours pour travailleurs étrangers.
Je ne sais pas si en quelques mois on peut apprendre une langue étrangère ; en discutant avec lui sur le pas de la porte, je me suis rendu compte que dans son cas cela ne suffisait certainement pas. Je savais que c'était à ces cours que ma femme et lui avaient lié connaissance, sans toutefois en saisir la raison. Après ce premier échange, je ne cherchais plus à savoir pourquoi, mais comment ils y étaient parvenus. Il m'a répété les circonstances qui l'avaient amené à s'inscrire à des cours de coréen : un jour, au beau milieu d'une place, il s'était senti comme asphyxié par le brouhaha de cette langue entendue partout autour de lui, comme pris au piège dans un épais nuage de fumée. Cette explication un tantinet farfelue ne répondait pas vraiment à mon interrogation.
J'ai tout simplement éclaté de rire, et il a fait de même. On est restés là, face à face, à rigoler comme deux idiots. J'étais parfaitement informé de la raison de sa visite : en ce dernier jour de l'année, alors que la nuit tombait, il avait fait une heure de bus avec son turban rose sur la tête, au risque d'être vu comme un membre d'Al-Qaïda, pour venir accorder le piano du salon. Cessant de rire, je lui ai dit :
« Eh bien, donnez-vous la peine d'entrer !
— La peine d'entrer ? » a-t-il répété en hochant la tête.
Le nouvel ami de ma femme, c'était donc ce drôle de personnage.

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