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Culture

Les nouvelles (1) - « Rumeurs » de Baek Ka-hum (3)

2016-01-21

Les nouvelles (1) - « Rumeurs » de Baek Ka-hum (3)
« Rumeurs », nouvelle de Baek Ka-hum traduite du coréen par Kim Jeong-eun, Lee Ho-yeon, Lee Seon-han, Pak Hyo-eun et Pak Yu-hyeong, sous la direction de Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet, publiée dans « Nocturne d'un chauffeur de taxi » paru aux éditions Philippe Rey en 2014.

* Extrait :
Les Jang, la famille de la jeune pharmacienne niaient la rumeur qui courait, mais le reste du bourg aurait souhaité que les histoires concernant la disparue soient un peu plus dramatiques.

Pages 49 à 51 :
Kim, le fermier, se fait remarquer partout où il va. Non qu'il soit imposant, mais au contraire parce qu'il est tout petit. Il lui faut toujours replier plusieurs fois le bas de son pantalon : lorsqu'il marche, on dirait que c'est son pantalon qui le porte. Cela fait déjà un mois que, nageant dans son vêtement, il est à la recherche de Rhim Hye-suk. Il court par monts et par vaux, négligeant ses travaux à la ferme, pour tenter de retrouver la disparue venue de Corée du Nord.
Quiconque les appelle de ses vœux voit les rumeurs abonder. Elles accourent, innombrables et effrayantes. Depuis qu'il a distribué des tracts promettant une récompense, les renseignements affluent de toute part. Il en reçoit trop pour être capable de les vérifier tous, mais, incapable de renoncer, il se jette à corps perdu dans son enquête. L'un des potins les plus grotesques rapporte qu'on aurait vu Rhim Hye-suk en Angleterre. A bout de forces, Kim finit par déduire qu'il doit cesser de porter foi aux ragots que colportent les gens. Il n'a plus assez de vigueur pour redresser son corps exténué et requinquer son âme désespérée.
Selon lui, si tout a mal tourné à ce point, c'est à cause de sa taille. Pour compenser son handicap, il a pris l'habitude d'exagérer ses gestes et d'employer de grands mots – ce que maintenant il regrette. Il a honte de s'être toujours montré trop altier. C'est à cause de sa petitesse que peu après son mariage avec sa femme, une Vietnamienne qu'il avait réussi à épouser à quarante ans bien sonnés, l'a abandonné ; c'est pour cette raison aussi que Rhim Hye-suk, dont il est éperdument amoureux, est partie sans un mot... Puis il songe à son pauvre frère cadet, encore moins haut que lui et toujours célibataire, condamné à se contenter de seconder son « grand » frère.
Il se sent surtout désolé à cause de la petite fille de Rhim Hye-suk. Tous les soirs, il se réfugie dans sa porcherie et s'accroupit dans un coin en gémissant. Apeurés, les porcs se ruent du côté opposé, blottis les uns contre les autres, enfouissant leur tête dans le tas, craignant qu'il n'épanche sa bile sur eux.
A chaque sonnerie du téléphone, il se précipite avec l'espoir que ce soit elle, mais elle ne donne aucun signe de vie. D'habitude, les réfugiés de Corée du Nord ne sont pas trop difficiles à retrouver, car, étant donné leur situation particulière, ils restent solidaires et se donnent volontiers un coup de main. Mais elles, personne ne les a vues. [...] Comment ont-elles pu s'évaporer, nul ne le sait. Seul résultat de son enquête, il a découvert que Rhim Hye-suk disposait de plus d'argent qu'il ne le pensait. Après avoir traversé la frontière sino-coréenne alors qu'elle était tout près d'accoucher, elle aurait gagné pas mal d'argent en élevant des porcs en Chine. Pour lui, c'est un fait nouveau. Juste de quoi ajouter encore à sa perplexité.

Le pharmacien Hwang est agacé de voir la famille de sa bru enquêter dans le quartier de façon aussi tapageuse. Voilà que la réputation de sa famille à lui, irréprochable depuis trois générations, semble d'un coup compromise à cause de sa belle-fille. Il est on ne peut plus désagréable d'être la cible des moqueries. Désormais il souhaite une seule chose : que tout cela se termine vite et qu'on n'en parle plus ! Une fois divorcé, son fils, le docteur Hwang, n'aura pas de mal à trouver une nouvelle épouse. Et puis le vieux Hwang n'est pas certain de pouvoir garder encore un peu d'affection pour cette belle-fille – si tant est qu'elle revienne un jour.
Il trouve en outre déplaisant de voir les policiers s'exhiber dans sa pharmacie et dans la clinique de son fils. D'autant que leur zèle s'est vite refroidi : pour eux, le fin mot de l'histoire, c'est une fugue. Voilà déjà un mois que la jeune pharmacienne n'a plus donné signe de vie, et l'on n'a toujours pas la moindre piste. Seuls les parents de la disparue, les Jang, prêtent encore l'oreille aux commérages dans l'espoir de découvrir ce qui s'est passé. Tous les matins de bonne heure, ils se pointent au carrefour de Geum-gu pour ne pas manquer d'éventuels racontars inédits. La disparition ne tourmente vraiment plus qu'eux.

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