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Culture

Les nouvelles (1) - « Rumeurs » de Baek Ka-hum (10)

2016-03-10

Les nouvelles (1) - « Rumeurs » de Baek Ka-hum (10)
« Rumeurs », nouvelle de Baek Ka-hum traduite du coréen par Kim Jeong-eun, Lee Ho-yeon, Lee Seon-han, Pak Hyo-eun et Pak Yu-hyeong, sous la direction de Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet, publiée dans « Nocturne d'un chauffeur de taxi » paru aux éditions Philippe Rey en 2014.

* Extrait :
Toujours au bord du réservoir, Kim, le fermier, pense à Rhim Hye-suk et sa fille.

Page 65 :
Entre lui et Rhim, il ne s'était rien passé. Pas de promesse ni même l'aveu d'un sentiment. Kim regrette qu'elle l'ait quitté sans qu'il ait pu lui dire des mots pleins de tendresse. Au spectacle des reflets de la lune dans l'eau, il laisse aller ses larmes. En plein milieu du réservoir un chemin lumineux se fraie jusqu'à la lune. L'envie soudaine le prend de se jeter dans cette étendue si immobile, de provoquer au moins quelques vagues. Il se lève, chancelant. Il tient toujours à la main le vêtement de la petite fille.
« Si mes porcs les ont mangées, c'est pareil que si c'était moi qui les avais tuées. »
Un petit vent se lève. Kim s'élance vers la rive comme un fou. Mais au bout de quelques pas, il trébuche.
« Oh ! Qu'est-ce que c'est ? »
Il examine le sol. Un caillou ? Non. Mais affleure quelque chose de blanchâtre qui ressemble à une main.


Dans la pharmacie, le vieux Hwang reste perdu dans ses pensées.

Pages 65 à 66 :
Les cheveux soigneusement gominés du vieux pharmacien luisent dans l'obscurité. Pendant des heures il est resté immobile sur sa chaise en fixant la rue. En pleine nuit, il n'y a pas un chat au carrefour. Seuls les phares de quelques voitures éclairent de temps à autre son visage aux mâchoires serrées. Dans la pénombre, il se regarde dans la glace, l'air absent, en boutonnant sa chemise.
Il se présente de nouveau devant le miroir après être allé, calmement, chercher la blouse qu'il a portée toute sa vie. Il la passe simplement sur son dos puis fait un nœud avec les manches au niveau de son cou. Il agit d'une façon parfaitement naturelle, tout a été prémédité. Il monte tout doucement sur le présentoir et attache les manches au crochet de la lampe fluorescente. Et, sans la moindre hésitation, il s'élance de toutes ses forces. Il est comme Superman vêtu d'une cape blanche. Son corps se balance dans le vide.


Retournons maintenant à notre fermier pour découvrir la fin de l'histoire.

Pages 66 à 67 :
Le corps retrouvé n'est pas celui de la nord-Coréenne. Cela met Kim au désespoir. Le vêtement de la petite dans une main, il regarde les officiers de police procéder aux fouilles. Selon eux, il s'agit de la pharmacienne disparue depuis un mois. Son mari arrive pour identifier le cadavre en état de décomposition avancée.
Le commissaire qui supervise les opérations s'approche de Kim, abasourdi.
« Je voulais vous rendre visite, ça tombe bien ! »
Kim reste assis, sans répondre, il contemple d'un air distrait le corps qui apparaît peu à peu. La bouche, les poignets et les chevilles ont été bâillonnés à l'aide d'une bande autocollante.
« La femme que vous cherchez, elle s'appelle... Rhim, c'est ça ? Eh bien on l'a retrouvée. »
Kim se lève d'un bond, les mains tremblantes.
« On... on l'a trouvée ? Dans... dans la panse des cochons ?
— ... Des cochons ? De quoi parlez-vous ? Elle est dans un centre d'accueil en Angleterre. Elle a demandé l'asile, mais elle s'est fait avoir par des escrocs. Quelqu'un a dû la draguer et lui promettre de l'emmener en Angleterre. Mais une fois là-bas, le type lui a volé son passeport, sa carte d'identité, son argent, et il l'a abandonnée. Genre d'escroquerie typique entre réfugiés. Les services de renseignement qui nous ont informés s'efforcent de retrouver l'escroc, il habiterait pas loin d'ici. Ils sont sur ses traces...
— Que... qu'est-ce que vous dites ? Mais sa fille ? En fait, elle a été... mes cochons... il y a des témoins...
— Sa fille est là-bas elle aussi. En tout cas, on va les ramener d'ici peu, vous n'aurez pas longtemps à attendre. Elles ont de la chance de pouvoir revenir. Elles étaient allées loin, c'est pour cela qu'on ne les retrouvait pas, vous voyez ? En revanche, il y en a une autre qui se trouvait sous terre... »
A la surface de l'eau, des ronds vont s'agrandissant. A la manière des rumeurs.

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