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Culture

Les nouvelles (2) - « L'homme aux neuf paires de chaussures » de Yun Hung-kil (2)

2016-03-24

Les nouvelles (2) - « L'homme aux neuf paires de chaussures » de Yun Hung-kil (2)
« L'homme aux neuf paires de chaussures », nouvelle de Yun Hung-kil traduite du coréen par Im Hye-gyong et Cathy Rapin, publiée dans « La Mousson » paru aux éditions Autres Temps en 2004.

* Extrait :
Le policier Yi demande à Oh d'« être un bon voisin », c'est-à-dire de dénoncer aux autorités tous les mouvements de Kwon.

Pages 114 à 115 :
« [...]
— Bon, alors vérifiez s'il est à cours de riz ou de charbon. Et aidez-le autant que vous pouvez. Je dois rester à l'écart. Bien sûr, la faute en revient sans doute aux employeurs qui l'ont embauché. Il n'y a aucune entreprise qui embaucherait de bon cœur une personne qui fait l'objet d'une enquête. Mais le plus gros problème, c'est M. Kwon lui-même. C'est le genre d'individu qui ne peut tout simplement pas supporter une surveillance judiciaire discrète. Mon prédécesseur, qui était responsable de lui, s'en est aperçu plus d'une fois. Aussitôt que M. Kwon sent qu'il est sous surveillance, il laisse tout tomber : travail, vie privée, même sa femme et ses enfants. Affalé de tout son long dans sa chambre, il ne mange plus pendant des jours, il sombre chaque jour dans l'alcoolisme au lieu de manger, ou bien il devient féroce comme un animal, jusqu'à ce qu'il soit sur le point de sombrer dans la folie. Vous savez, dans le fond, c'est un honnête homme et doux avec ça. Je pense que vous comprenez maintenant ce que je veux dire. Franchement, j'ai beaucoup d'affection pour M. Kwon, pas en tant que policier, mais en tant qu'être humain. J'aimerais l'aider autant que je peux. Je pense que d'ici peu, vous aussi, monsieur Oh, vous ressentirez la même chose. Je vous prie encore d'être un bon voisin. »
Moi, avoir de l'affection pour M. Kwon, quelle idée épouvantable ! Je ferais mieux de payer à quelqu'un une jolie somme, bien rondelette, pour qu'il soit gentil avec lui à ma place. Dès le tout début, notre motivation pour louer la chambre libre près du portail n'avait pas été l'amour de l'humanité, mais l'argent.
Le spectacle de M. Kwon et de sa famille en train d'emménager n'avait vraiment pas été banal, plutôt quelque chose de spectaculaire. C'était un dimanche. J'étais juste en train de me secouer pour le rare plaisir d'un petit-déjeuner tardif quand la sonnette se mit à tinter. Ma femme sortit et ouvrit le portail. D'où j'étais, assis dans notre chambre, je pus alors entendre son cri de surprise. Je sortis à mon tour pour voir ce qui se passait et je restai stupéfait. Il y avait là une femme ruisselante de sueur, la poitrine haletante, avec sur la tête un énorme ballot qui semblait aussi lourd qu'elle. Une petite fille, qui pouvait bien avoir neuf ans, debout à une courte distance du portail et, à deux pas d'elle, un petit garçon d'environ trois ans me sautèrent alors aux yeux. Leur père était loin en bas de la colline abrupte menant à notre maison, un autre ballot à ses pieds. Il s'apprêtait à fumer. Mais quand il me vit, il remit la cigarette dans sa poche et souleva péniblement le ballot pour le mettre sur son épaule. Accablé par le poids de sa charge, il ne faisait que tituber pour monter le reste de la côte. Si c'était bien l'homme qui allait louer une de nos chambres, M. Kwon, il agissait vraiment de sa propre initiative comme pour une attaque surprise, sans avoir demandé notre permission, et en plus, quatre jours en avance sur le programme ! Comme il me semblait sur le point de s'évanouir d'une seconde à l'autre, j'attrapai le ballot. Il était beaucoup plus léger que je ne me l'imaginais. Sa taille énorme contredisait le fait que c'était une couette lâchement enveloppée dans un tissu. Ses enfants me fixaient avec appréhension. Ils tenaient chacun de leur côté, par une poignée, un sac en plastique plein à craquer et prenaient leur mal en patience, silencieux malgré l'effort considérable qui se peignait sur leur visage. Ma femme, toujours ébahie, jaugeait la femme de M. Kwon comme si elle était en train de la peser sur une balance et ne faisait aucun geste pour l'aider à descendre le baluchon de sa tête. Je m'aperçus alors que M. Kwon était petit. Moi qui suis de taille moyenne, je me sentais géant par comparaison. M. Kwon gardait le silence en fixant attentivement mes sandales, aussi je crus devoir parler le premier.

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