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Culture

Les nouvelles (2) - « L'homme aux neuf paires de chaussures » de Yun Hung-kil (9)

2016-05-12

Les nouvelles (2) - « L'homme aux neuf paires de chaussures » de Yun Hung-kil (9)
« L'homme aux neuf paires de chaussures », nouvelle de Yun Hung-kil traduite du coréen par Im Hye-gyong et Cathy Rapin, publiée dans « La Mousson » paru aux éditions Autres Temps en 2004.

* Extrait :
Sous l'effet de l'alcool, M. Kwon avoue devant la femme de M. Oh qu'il est un ancien détenu. Les deux hommes vident ensemble la bouteille de soju que M. Kwon a apportée.

Pages 134 à 136 :
« Monsieur Oh, j'ai été au moins aussi bon citoyen que vous, jusqu'au jour où je me suis fait tremper par la pluie, comme un rat tombé dans une jarre d'eau. Et, bien sûr, ma femme était, sans aucun doute, aussi gentille et douce que la vôtre. Bien sûr, nous avions nos revendications et nous souffrions d'injustices, mais nous les résolvions dans nos rêves ; nous n'avions jamais su comment les exprimer par l'action. »
[...]
« Tout était allé en dépit du bon sens. Quelqu'un comme moi n'aurait jamais dû naître. J'aurais pu mourir de typhoïde, de péritonite ou d'une de ces maladies que j'ai eues, mais au lieu de ça, je suis là à vivoter avec ma femme et mes gosses. Et puis, nous avons eu cette maison dans un lotissement à Kwangju. Je ne sais pas comment, mais tout a continué à aller en dépit du bon sens. »
A l'époque, une rumeur très persuasive s'était répandue, spécialement parmi les déshérités, disant qu'un « paradis » allait être construit. M. Kwon n'avait pas pris ça pour de l'argent comptant. Au début, il avait eu tendance à croire que ce « paradis » n'était rien de spécial. Mais il avait été tenté par la perspective d'avoir une maison et avait surestimé le bénéfice d'être sur le trajet journalier de Séoul. Il réalisa ensuite qu'il avait commis une erreur. A la fin, il s'était fendu de deux cent mille wons, une lourde somme à l'époque, et, par l'intermédiaire d'un vieil agent immobilier, il avait acheté un titre de propriété d'une famille expropriée.
« Pour la première fois de ma vie, j'étais devenu propriétaire d'un vingt pyong. J'étais si heureux que je passais les limites de ce lotissement chaque matin et chaque nuit. Je m'étais même mis à mesurer le sol, à tasser, à caresser pratiquement le terrain. J'oubliais complètement que cette terre m'avait été octroyée par fraude, après avoir appartenu à une famille qu'on avait expropriée, des gens moins chanceux que moi. A cette époque, le monde ne me paraissait pas plus grand que ces vingt pyong. »
M. Kwon n'avait pas sitôt réussi à obtenir cette terre qu'il n'avait déjà plus les moyens de faire les fondations, ni d'élever les murs de la maison afin d'avoir un abri. Aussi, il avait laissé tout en plan et, les mois suivants, la famille était restée sur place sous une vieille tente qu'il avait dressée. C’était l'année des élections. Les candidats à la députation alignaient différentes promesses les unes après les autres pour le projet annoncé concernant la construction du « paradis ». Des cérémonies magnifiques, en plein air, étaient organisées ici et là et un boom sur la construction s'en suivit. En un rien de temps, ce paradis pour familles expropriées, dont la plupart étaient composées de journaliers, était à portée de la main. Au plus fort de la campagne électorale, les prix des terrains montèrent en flèche, les salaires grimpèrent et des spéculateurs bourdonnèrent un peu partout. Mais aucun de ces bouleversements ne le concernait le moins du monde, c'est ce que pensait M. Kwon. Pourtant, les élections n'étaient pas déjà finies que sous sa tente, avec son ampoule de vingt watts, il découvrit à quel point il avait eu tort. Cette prise de conscience fut comme une décharge électrique.
« C'était le jour succédant aux élections des députés. Ça n'avait pas duré deux jours et après, tout s'était mis en branle. »
Un avis avait été envoyé par les autorités de Séoul : tout terrain occupé par une famille expropriée devait être bâti avant le 10 juin, sinon la vente serait annulée. Le 10 juin, c'était quinze jours plus tard. Ça équivalait donc à devoir élever une maison en quinze jours. M. Kwon et sa femme avaient à construire sur leur terrain durant cette période. Comme M. Kwon n'était pas un journalier et que son gagne-pain se trouvait encore à Séoul, il était indifférent à l'imbroglio d'événements concernant le plan de développement du logement à Kwangju. Aussi, il s'était lancé en retard dans la construction. Il avait donc dû se bouger les fesses jusqu'à ce que ça lui cuise. D'abord, il prit plusieurs jours de congés sans en avertir la maison d'édition où il travaillait et essaya comme un fou d'amasser un peu d'argent. Quand l'argent fut là, il acheta du ciment, des parpaings et du bois de charpente. Avec sa femme, il commença à construire la maison, une rangée de briques après l'autre. Aucun d'eux ne connaissait la moindre chose en maçonnerie, mais ils s'acquittaient de cette énorme entreprise sans se laisser intimider, leur instinct leur disant qu'au moins la maison ne s'écroulerait pas.

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