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Culture

Les nouvelles (2) - « L'homme aux neuf paires de chaussures » de Yun Hung-kil (10)

2016-05-19

Les nouvelles (2) - « L'homme aux neuf paires de chaussures » de Yun Hung-kil (10)
« L'homme aux neuf paires de chaussures », nouvelle de Yun Hung-kil traduite du coréen par Im Hye-gyong et Cathy Rapin, publiée dans « La Mousson » paru aux éditions Autres Temps en 2004.

* Extrait :
M. Kwon et sa femme ont réussi à monter les murs et poser le toit en moins de quinze jours.

Pages 137 à 142 :
Mais il y eut une autre circulaire. Les personnes ayant acheté des terrains à des familles expropriées seraient reconnues officiellement propriétaires de leur lot seulement si celles-ci faisaient un dépôt de huit à seize mille wons par pyong avant la fin juillet. Sinon, la vente serait annulée et ces personnes seraient sujettes à un emprisonnement pouvant aller jusqu'à six mois et à une amende de trois cent mille wons.
« Cette fois aussi, ils nous avaient donné quinze jours. Ils avaient sûrement un goût particulier pour le chiffre quinze. »
Pour aggraver les choses, les bureaux de la province de Kyonggi leur envoyèrent un avis afin qu'ils paient un impôt foncier. Ainsi, la ville de Séoul et la province de Kyonggi, qui relevaient normalement de deux juridictions différentes, émettaient parfois deux sons de cloche contradictoires sur le même sujet et, en ce cas précis, les habitants ne savaient plus quoi faire. Une organisation d'habitants appelée « Comité pour la révision du prix des terrains de la zone des lotissements de Kwangju » s'était créée, une telle dénomination n'avait pas sa pareille quant à sa longueur. Ce comité fut renommé sur le champ « Comité de lutte ». Comme M. Kwon était connu pour être quelqu'un d'éduqué, ceux qui étaient dans le même bateau que lui l'embarquèrent dans ce nouveau comité pour en devenir le successeur.
Sans la moindre solution en vue, la fin juillet, limite pour le règlement du dépôt, passa dans une atmosphère tendue. Puis le 10 août arriva. C'était le jour d'action décidé par le comité. [...]
La pluie tombait par intermittence. Il était plus de onze heures. Les représentants du comité s'étaient présentés à onze heures pour parler avec les autorités, mais, comme le porte-parole du gouvernement ne se montrait toujours pas, ils décidèrent de ne pas attendre davantage. Des cris s'élevèrent soudain en écho dans les ruelles : « Descendez tous dans la rue ! » On entendit aussi : « Prenez tout ce que vous pouvez, ne sortez pas les mains vides ! » Quelqu'un frappa si fort à la porte coulissante de chez M. Kwon qu'elle faillit sortir de sa glissière.
« Monsieur Kwon ! monsieur Kwon ! vous êtes là ? »
Le cœur de M. Kwon s'arrêta de battre. Il fit répondre à sa femme qu'il était parti travailler. C'est seulement après le départ de cet intrus, quel qu'il fut, que M. Kwon se souvint qu'il était mardi. Il se demanda pourquoi il avait passé son temps à se morfondre chez lui, sans aller travailler, alors que ce n'était pas dimanche. La réponse lui traversa d'un coup l'esprit : c'était sa dépendance à l'égard des autres. Il avait l'attitude d'un opportuniste, quelqu'un qui ne s'engage pas jusqu'au bout, même lorsqu'il est profondément concerné, mais attend le moment favorable quand les efforts des autres rapportent des fruits. C'était un réveil sans équivoque et il était paralysé de honte. Il se leva d'un bond et se précipita dehors. Les rues étaient obstruées par la foule courant en direction d'un bureau gouvernemental, hurlant des slogans et portant toutes sortes de bâtons et d'outils. [...]
« Pendant ce temps, la scène avait changé. Un triporteur, qui s'était trompé de route, était apparu. Il continuait d'avancer et s'est retourné au beau milieu de la foule. Il avait certainement eu du mal à prendre son virage. Le conducteur avait fureté dans toutes les directions en essayant de passer, mais il avait fini par se retourner. Toute sa cargaison de melons jaunes, bien mûrs, se répandait, et les melons commençaient à rouler dans la rue. Juste à ce moment-là, les manifestants se sont arrêtés de jeter des pierres et se sont lancés à la poursuite des melons comme des abeilles. Tout le chargement a disparu en un rien de temps. Les gens avaient tout ramassé, même ce qui se trouvait dans la boue, et dévoré ces melons à pleines dents. Les voir manger n'était pas vraiment agréable. Pourtant, il y avait quelque chose d'instinctif qui poussait tous ces gens à se battre pour des melons et qui vous remuait. Je me suis alors dit : « Mon Dieu, c'est comme un tableau de nus. » Une fois saisi par cette image, j'ai alors réalisé que moi qui avais toujours essayé de me convaincre de ma différence, je n'en étais plus aussi sûr. En fait, c'est à ce moment-là que j'ai pu me voir clairement. [...] Trois jours plus tard, un inspecteur a débarqué à la maison d'édition et m'a passé les menottes. Quand j'ai vu les photos que la police me tendait comme preuve, je ne pouvais pas y croire. Sur l'une d'elles, je me trouvais assis sur le toit d'un bus ; sur une autre, je brandissais un bidon d'essence, sur une autre encore une matraque. C'était bien ma tête, mais je ne me souvenais de rien. »

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