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Culture

Les nouvelles (3) - « Hôtel Plaza » de Kim Mi-wol (4)

2016-09-08

Les nouvelles (3) - « Hôtel Plaza » de Kim Mi-wol (4)
« Hôtel Plaza », nouvelle de Kim Mi-wol traduite du coréen par Lucie Angheben, Cho Eunbyul, Elisabeth Hofer, Gwénaëlle Pompilio et Shin Sun-mi avec le concours de Choi Mikyung et de Jean-Noël Juttet, publiée dans « Nouvelles de Corée » paru aux éditions Magellan & Cie en 2016.

* Extrait :
Le lendemain, quand Yun-seo vient s'excuser de ne pas l'avoir informé à l'avance des sujets abordés au cours de l'enregistrement, notre narrateur obtient un rendez-vous avec elle. Après le dîner à Myeongdong, ils décident de marcher un peu.

Pages 22 à 26 :
[...] Partout des buildings immenses, des vitrines rutilantes, des garçons et des filles se promenant en petits groupes. Chaque pas m'introduisait dans un autre monde. Dans mon village, on pouvait bien marcher dix minutes ou plus, le paysage restait toujours le même, mais ici tout changeait à chaque instant. On a dépassé la station Euljiro il-ga et on a continué en direction de la mairie. Ne jamais croiser de visage familier était quelque chose de totalement nouveau pour moi.
Séoul est décidément un endroit surprenant, pensais-je une fois de plus.
A ce moment-là, j'étais seul au monde avec Yun-seo, et j'en étais tout excité. Je ne cessais de parler, quitte à dire n'importe quoi. Je racontais qu'au collège je remportais toujours les concours d'éloquence sur l'anticommunisme, qu'une fois nous étions partis en camping avec le lycée et j'avais attrapé un serpent à mains nues... Elle souriait en entendant mes hauts faits du passé qui ne valaient pas trois sous. M'écoutait-elle vraiment, je ne saurais dire, mais dès que je me suis tu, elle s'est exclamée :
– J'ai toujours rêvé d'aller là-bas.
– Là-bas, où ça ?
Bien que déçu de voir qu'elle ne m'avait pas écouté, j'étais curieux de savoir de quoi elle parlait. Elle a pointé du doigt le grand building qui se dressait là, en face de la mairie. Tout en haut à gauche, une enseigne lumineuse étincelait en lettres d'or : SEOUL PLAZA HOTEL.

Notre chambre était au seizième étage, au fond du couloir à gauche. Une fois la porte ouverte, la première chose qui m'a sauté aux yeux, c'était la grande baie vitrée. Le ciel – était-ce un effet de la vitre ou bien de la pluie ? – avait cette teinte violacée irréelle des photos prises avec une pellicule spéciale. Sans prendre la peine d'enfiler les chaussons, ma femme s'est précipitée vers la fenêtre avec un grand cri d'admiration.
– Ouah ! regarde, on voit même le Deoksugung !
Tandis qu'elle scrutait le palais, moi, je promenais mon regard dans la chambre. L'aménagement, le mobilier, l'équipement ne présentaient rien de bien différent de ceux des autres hôtels où nous étions descendus jusque-là. Je me suis assis sur le bord du lit. Le visage d'un salarié au premier jour de ses vacances est apparu dans le miroir de la coiffeuse en face de moi. Un visage qui semblait dire que, dans ce genre d'endroit, il n'y a rien de mieux à faire que de regarder les épisodes de Prison Break que j'avais manqués faute de temps.
Finalement, nos vacances à l'hôtel, c'était toujours la même chose : faire le check-in, dîner au restaurant sur place, boire un verre au Sky Lounge, retourner dans la chambre, faire l'amour et dormir. Voilà tout. Le lendemain, tout au plus, on quittait la chambre pour aller au spa, au fitness club ou à la piscine. De nos séjours à l'hôtel, qu'il s'agisse de celui de l'année dernière ou de l'année d'avant, il ne me reste aucun souvenir marquant : ils se ressemblent tous, comme les œufs dans la porte du frigo.

[...] Ma femme a rangé ses affaires sur la coiffeuse. Elle qui d'ordinaire, même pour une seule nuit, apportait autant de choses que les porteurs en pouvaient porter, s'était étrangement lestée de peu d'effets personnels cette fois-ci. Ce qui m'avait le plus surpris quand je l'avais épousée, c'était la quantité de produits de beauté dont une femme a besoin. Je n'aurais jamais imaginé pareille diversité ni tant de catégories. Les lotions, les émulsifiants et les démaquillants, ça d'accord. Les essences et les sérums, passe encore. Mais toutes ces crèmes, ça me dépassait : il y en avait pour les yeux, pour le cou, pour les mains, les pieds, le corps, les lèvres, etc. Les produits de beauté divisent et dissèquent à l'infini le corps humain. Le cou, les mains et les pieds ont beau faire partie d'un même corps, tout est si bien catégorisé que, si on met sur le cou la crème prévue pour les pieds, cela créera assurément un gros problème ! Et quand elle avait commencé à m'expliquer que tout ça ce n'était que les produits de soin et qu'il y avait ensuite le maquillage, je l'avais interrompue d'un geste de la main. Je ne voulais pas en apprendre davantage.

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