Aller au menu Aller à la page
Go Top

Culture

Les nouvelles (3) - « Hôtel Plaza » de Kim Mi-wol (7)

2016-09-29

Les nouvelles (3) - « Hôtel Plaza » de Kim Mi-wol (7)
« Hôtel Plaza », nouvelle de Kim Mi-wol traduite du coréen par Lucie Angheben, Cho Eunbyul, Elisabeth Hofer, Gwénaëlle Pompilio et Shin Sun-mi avec le concours de Choi Mikyung et de Jean-Noël Juttet, publiée dans « Nouvelles de Corée » paru aux éditions Magellan & Cie en 2016.

* Extrait :
Notre narrateur et Yun-seo continuent leur conversation à propos du général Chun Doo-hwan avant de quitter le centre du don de sang. Et voici la suite de l'histoire.

Pages 38 à 42 :
Ce jour-là aussi, nous avons marché jusqu'à la station de métro devant la mairie. Quand nous sommes passés devant la Banque de Corée, comme si nous nous rencontrions pour la première fois, Yun-seo m'a demandé si je me faisais à la vie de Séoul. Du coup, je me suis rendu compte que cela faisait trois mois que j'étais ici. A force d'entendre Cho Yong-pil chanter Séoul, Séoul, Séoul dans mes jeunes années, ou encore Notre Séoul de Lee Yong, je m'étais fait une représentation de la ville assez différente de la réalité, mais après tout, pourquoi pas ? Yun-seo m'avait dit qu'elle y était née.
– Cette ville, je la déteste. Il y a trop de monde, trop de bruit. Rien d'autre à voir que des immeubles partout pareils, et puis l'air est irrespirable. La nuit, avec toutes ces lumières, impossible de dormir tranquillement.
La foule, le bruit, c'était justement ce qui me plaisait. Une sorte d'euphorie collective à laquelle j'adhérais totalement. Non, ce n'était pas partout pareil, il y avait tant d'endroits où aller qu'en une seule année on pouvait donner, au bas mot, trois cent soixante-cinq rendez-vous galants en autant de lieux différents. Et la nuit, grâce à toutes ces lumières, même seul, je ne me sentais jamais isolé. Mais il n'était pas question d'aller contre l'avis de Yun-seo. Quoi qu'elle dise, j'étais d'accord. A distance, on apercevait l'angle de l'hôtel Plaza.
– Pourquoi as-tu dit, l'autre jour, que tu as toujours rêvé d'aller là ?
Prenant un air sérieux, elle a répondu :
– Eh bien, tu vois... si, il y a vingt ans, mes parents m'avaient abandonnée et que j'avais été adoptée par des étrangers...
– Toi ? C'est vrai ?
– Mais non, c'est juste une supposition.
Elle parlait tout bas. La fumée des grenades lacrymogènes et notre course effrénée dans les rues bondées de Myeongdong me semblaient déjà un lointain souvenir. Il n'y avait pas d'étoiles dans le ciel ni aucune fleur alentour, mais j'aurais aimé que cette promenade nocturne, juste elle et moi, ne finisse jamais.
– Vingt ans plus tard, j'aurais voulu découvrir le pays où je suis née, je serais venue retrouver mes parents biologiques. Alors, je serais descendue au Plaza. Là, en plein cœur de Séoul, un lieu symbolique ; juste en face de la mairie, quasi au point zéro. Je serais arrivée la veille de la rencontre avec mes parents et, du haut de ma fenêtre, je contemplerais ce paysage nocturne, plongée dans mille pensées confuses.
S'arrêtant de parler, elle a levé les yeux au ciel.
– Et puis, c'est tout ?
– Oui. J'aimerais savoir quelle impression ça fait, c'est pour cela que j'aimerais y aller.
– Bon, d'accord, mais ce n'est qu'une supposition. Tu n'as pas été adoptée.
– Dans ce cas, Séoul serait pour moi une ville totalement étrangère et intimidante. Ce serait comme si je n'en connaissais absolument rien. Ce ne serait plus cette ville que je connais par cœur depuis vingt ans, mais un lieu inconnu de moi bien qu'y étant née. Une ville qui m'aurait impitoyablement rejetée. C'est ça que je voudrais ressentir.
Je ralentissais le pas. Je voulais l'aider, d'une façon ou d'une autre. Réaliser son rêve. Combien coûterait une nuit à l'hôtel Plaza ? Ça risquait d'être très cher, mais bon... pourquoi pas ? Après tout, ce n'était que de l'argent, il suffirait d'économiser. Je me suis éclairci la voix :
– Qu'est-ce que tu fais à Noël ?
Yun-seo s'est esclaffée. Noël, c'était dans sept mois ! Moi, je ne riais pas. Je serrais les poings, j'avais les mains moites.
– Si tu n'as rien de prévu, ça te dirait qu'on le passe ensemble ?
De toute ma vie, c'était la demande la plus courageuse que je n’aie jamais faite. Comme si je l'avais demandée en mariage. Les quelques secondes au bout desquelles sa réponse est venue m'ont paru une éternité.
– Bon, c'est d'accord.

Contenus recommandés

Close

Notre site utilise des cookies et d'autres techniques pour offrir une meilleure qualité de services. En continuant à visiter le site, vous acceptez l'usage de ces techniques et notre politique. Voir en détail >