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Culture

Les nouvelles (3) - « Hôtel Plaza » de Kim Mi-wol (9)

2016-10-20

Les nouvelles (3) - « Hôtel Plaza » de Kim Mi-wol (9)
« Hôtel Plaza », nouvelle de Kim Mi-wol traduite du coréen par Lucie Angheben, Cho Eunbyul, Elisabeth Hofer, Gwénaëlle Pompilio et Shin Sun-mi avec le concours de Choi Mikyung et de Jean-Noël Juttet, publiée dans « Nouvelles de Corée » paru aux éditions Magellan & Cie en 2016.

* Extrait :
Notre narrateur se replonge dans les souvenirs de sa jeunesse.

Pages 42 à 45 :
C'était un jour où la température avait brusquement chuté. Devant la mairie, il y avait six ou sept personnes qui, comme moi, attendaient quelqu'un. A cause du froid, j'avais les mains tout engourdies, je grelottais, claquais des dents. Et pourtant, je ne pouvais m'empêcher d'afficher un léger sourire. C'était mon dix-huitième Noël. Le vingtième pour celle que j'attendais. Combien de fois j'avais rêvé de ce moment ? En attendant celle que j'aimais, je regardais le spectacle étonnant que m'offrait la nuit glaciale de Séoul, lumineuse, si merveilleuse. Des passants jetaient un peu d'argent dans la marmite de l'Armée du salut à l'angle du trottoir devant la mairie. Le tintement limpide de la clochette que secouait l'homme en uniforme se dispersait dans l'air froid de décembre.
« Je t'ai réservé une chambre à l'hôtel Plaza. »
C'était le cadeau de Noël dont je voulais faire la surprise à Yun-seo. Bien entendu, on monterait tous les deux, mais sans arrière-pensée de ma part. Ce serait mentir de dire que je n'avais pas envie de la toucher, ne serait-ce que du bout des doigts. Mais, sincèrement, ce n'était pas mon objectif. Je souhaitais simplement lui offrir la chance de découvrir son pays natal avec les yeux d'une enfant adoptée vingt ans plus tôt, de lui permettre de conserver longtemps cette vision si dépaysante de Séoul.
L'heure de notre rendez-vous était passée depuis une demi-heure. J'ai appelé chez elle depuis une cabine téléphonique. A cette époque, il n'y avait pas de téléphone portable. Je n'arrêtais pas de regarder dehors pour vérifier si elle n'arrivait pas, tant j'avais peur de la manquer. Déjà une heure de retard. Toujours personne au bout du fil. J'ai attendu encore trente minutes. Enfin, quelqu'un a répondu, sa mère. Yun-seo était sortie avec des amis à midi. Elle avait dû complètement oublier notre rendez-vous. Je me suis rendu à l'hôtel d'un pas lourd. Pourquoi n'ai-je pas pensé à annuler ma réservation ?
Depuis la fenêtre, j'ai observé la nuit de Séoul. Les phares des voitures, blanches pour la plupart, dessinaient des filaments de lumière tout le long de l'avenue Taepyeong depuis la mairie jusqu'à Gwanghwamun. Même à mes yeux, à moi qui venais de me faire poser un lapin par celle que j'aimais, la nuit glaciale de Séoul restait lumineuse, si merveilleuse. Et mélancolique. C'est ainsi que j'ai passé cette nuit d'hôtel payée avec les gains de sept mois de petits boulots. Je n'ai jamais raconté cette histoire à personne. Je n'ai jamais dit que j'étais resté seul dans cette chambre, que j'avais regardé longuement par la fenêtre avant de dormir. Que lorsque je m'étais réveillé tôt le lendemain, je m'étais senti seul, comme un enfant adopté de retour dans son pays d'origine, et que, triste, lamentable, perdu, je m'étais mis à faire des allées et venues dans le couloir. Que, apercevant le téléphone sur la table en face de l'ascenseur, j'avais décroché et entendu la voix du réceptionniste. [...]

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