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Culture

Les nouvelles (5) - « Doublage » de Park Chan-soon (6)

2016-12-22

Les nouvelles (5) - « Doublage » de Park Chan-soon (6)
« Doublage », nouvelle de Park Chan-soon traduite du coréen par Hwang Ji-young, Jeong Hyun-joo, Lee Goo-hyun, Lee Jung-hwan, Lee Seung-shin, Lee Tae Yeon et Moon So-young, avec le concours de Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet, publiée dans « Cocktail Sugar et autres nouvelles de Corée » paru aux éditions Zulma en 2011.

* Extrait :
Notre narratrice plonge dans ses pensées : elle pense à sa vie conjugale, aux moments de tendresse, à l’échec de son mari qui était toujours comme un enfant insouciant en train de jouer au bord du gouffre...

Pages 283 à 287 :
Yoon est quelqu’un de dynamique. Il réussit contre toute attente à décrocher des contrats impossibles. Une fois déterminé, il travaille comme un forcené, il va jusqu’au bout. Est-ce ce côté fonceur qui m’a attirée ? S’il entrait dans ma vie, il en chasserait d’un coup tous mes soucis, toutes mes angoisses. Il n’a jamais vécu en couple, il ne sait pas se montrer attentionné comme mon mari savait si bien le faire, mais il y a en lui cette force mystérieuse qui le rend tellement séduisant. Une force, une énergie qui pourrait marquer un tournant dans ma vie présente, pleine d’ennui, aussi monotone aujourd’hui qu’hier, et qui le sera tout autant demain. Je me sens heureuse dans ses bras en l’espace d’un instant. Nos respirations haletantes s’unissent, s’amplifient à mes oreilles. Soudain, je me dis que l’autre souffle devrait être celui de mon mari, de mon mari qui est à l’hôpital. D’un bond, je m’arrache au canapé. Yoon, perplexe, se relève. Mais il n’a pas l’air fâché. Mal à l’aise, je retourne à mon banc de montage. Il s’approche, il se tient là, tout près de moi.
– Désolé pour tout à l’heure. Je ne suis pas venu pour te dire de le placer dans un centre médicalisé. Ecoute, cette fois-ci, ça va être le jackpot ! Je le sens.
D’un geste de la main, il dessine, à partir de son nez, une courbe qui descend puis remonte en arc de cercle. Le bec de l’avocette. [...] Sa voix est pleine d’assurance :
– Aujourd’hui, je suis allé voir les habitants du village avec l’ornithologue qui a découvert l’oiseau, et nous nous sommes rendus ensemble à la mairie.
Il parle sans arrêt :
– Il y a quelques mois, ils étaient réticents à cause de la grippe aviaire. Mais aujourd’hui, ils sont rassurés parce que l’oiseau vient d’Europe. J’avais entendu dire que certains habitants étaient contre le projet. Je les ai convaincus que, s’il devenait une destination pour ces oiseaux migrateurs, leur village attirerait beaucoup plus de touristes. Maintenant tout est réglé.
Me voilà inquiète. Je me méfie toujours des hommes trop sûrs d’eux. [...] Je me tourne vers lui, plante mes yeux dans les siens :
– Tu ne vas pas un peu vite ? Ce « village en bord de mer au soleil couchant » vit déjà très bien du tourisme écologique : les gens vont y ramasser des coquillages, des crabes sur le sable. Tu crois que les habitants vont renoncer à leurs belles plages pour mettre à la place des champs de roseaux et des marais d’eau saumâtre ? [...]
J’ai l’impression, soudain, de voir mon mari. Lui aussi, il était tellement sûr de lui quand il voulait monter sa boîte et qu’il essayait de me convaincre : « Tu sais, le salarié, même s’il travaille toute sa vie, ça ne le mène à rien. Gravir les échelons ? Oui, mais jusqu’où ? Je te promets, nous vivrons sans souci d’argent. »
Je ne connaissais pas grand-chose à l’édition, mais j’étais certaine qu’il ferait de bons livres et qu’il gagnerait beaucoup d’argent. Enfin, plus ou moins certaine. Quand j’entends Yoon, je me demande pourquoi les hommes sont si prompts à bâtir des châteaux en Espagne. Pourquoi n’ont-ils jamais les pieds sur terre ? Est-ce parce qu’ils ne sont pas assez futés ? Mais est-ce si important d’avoir les pieds sur terre, d’être futé ? Je me rappelle une phrase d’un documentaire que j’ai traduit : « Comme les hommes vivent moins longtemps que les femmes, ils ont tendance à jouer leur dernière carte plus tôt. » J’ai horreur de devoir choisir, mais entre deux hommes, j’opterai toujours pour celui qui n’a pas peur de prendre des risques – à condition que ce qu’il propose soit crédible. Les défis posés au genre humain, ce sont les hommes de cette trempe qui ont osé les affronter, et peu importe qu’ils aient réussi ou échoué.

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