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Cinéma & dramas

The March of Fools : la baleine blanche en 1975

2022-02-23

Séoul au jour le jour


Pour la suite de notre série sur les classiques du cinéma sud-coréen, et pour les années 1970, intéressons-nous au film « The March of Fools » de Ha Gil-jong. Mutilé par la censure, comme beaucoup de films de l'époque, il a été en partie reconstitué dans les années 2000. Ovni dans le paysage cinématographique local de l'époque, que nous raconte ce film aujourd'hui ?


* Alcool, fac et flirts

Les critiques ont souvent évoqué le portrait de l'époque de la dictature de Park Cheung-hee à propos de ce film. Ne rêvons pas : comme la censure militaire veillait au grain, il n'était pas vraiment possible de s'aventurer dans un réalisme social outre-mesure. Par contre, comme nous le rappelle une série comme « All of us are Dead », les films sur les lycéens ou les étudiants n'étaient pas rares au Pays du Matin Clair.  C'est de cela dont il s'agit : deux étudiants en philo draguent des minettes dans des soirées organisées par l'université. La bière et le makgeolli coulent à flot. Mais voilà : les flics arrêtent les jeunes aux cheveux longs, les filles n'ont rien à faire des petits gars sans avenir qui rêvent de chasser des baleines blanches et la lobotomie du service militaire guette. Nos deux anti-héros vont finir mal : l'un part dépité à l'armée, l'autre se suicide en se jetant à la mer avec son vélo.



* New Hollywood en Corée du Sud

Le réalisateur Ha Gil-jong a eu histoire personnelle très spéciale. Diplômé du département de français de l'université de Séoul et ami du poète rebelle Kim Chi-ha, il part aux USA, à UCLA pour faire un master de cinéma. Au début des années 1970, nous sommes en pleine vague des films du New Hollywood. Le poster de l'héroïne de « The Graduate » de Mike Nichols apparaît d'ailleurs dans le film. De retour dans son pays, le projet de Ha Gil-jong est clair : transposer les anti-héros du nouvel Hollywood dans le contexte de la dictature sud-coréenne. Longs plans filmés au zoom dans les rues de Séoul, musique signifiante en contrepoint, les références stylistiques sont nombreuses. La thématique existentialiste n'oublie pas la France que Ha Gil-jong a étudié. En effet, le film commence par une histoire de devoir d'école sur « L'Etranger » de Camus. Etrangers dans leur propre pays et leur propre société, indifférent aux dogmes dominants, c'est bien ce que les deux étudiants sont tout au long du film.


* Témoignage et existentialisme

S'il y a bien un témoignage sur la réalité de l'époque, il réside dans l'alcoolisme généralisé de la population. Noyer son mal de vivre dans l'alcool est le leitmotif du film. Comme les jeunes gens de la nouvelle vague nippone des années 1960, le seul avenir qui apparaît à l'horizon de la jeunesse est alors l'auto-destruction faute de pouvoir changer la société dans laquelle ils agonisent lentement. En effet, on comprend vite que leur destin est tout tracé dans la pierre et la boue. Tout est joué d'avance pour les pauvres comme pour les jeunes riches. L'un des deux étudiants est, par exemple, issu d'une famille riche. Rappelons qu'à l'époque, il fallait beaucoup d'argent pour faire des études dans une Corée du sud ultra-capitaliste. Tout est faux ici, dit l'étudiant, même l'idée que l'on aura une vie facile quand on est né dans une famille fortunée. Ses parents veulent bien lui payer des études mais le considèrent comme un paria. Il galère donc sans un won avec son pote prolo. Les filles qu'ils fréquentent sont plus lucides, car elles savent que leur sort est scellé d'avance sauf si elles parviennent à mettre le grappin sur le gros lot.



* Rêver de baleine blanche

Le rêve de la baleine blanche, la célèbre Moby Dick, devient, peu à peu, le thème du film. La chanson de Song Chang-shik intitulée « La Chasse à la baleine » et censurée dans la version du film sortie en 1972, le rappelle : aucun rêve de futur différent n'est possible dans la société cloisonnée et momifiée de l'époque. A la poursuite de l'impossible pourrait être le message d'un film qui lui-même avait atteint les limites acceptables par le cinéma de l'époque. Le réalisateur Ha Gil-jong a dû accepter de nombreuses coupes et des changements de dialogues notamment sur tout ce qui concernait les manifestations et les grèves étudiantes. La version actuelle permet de voir la fermeture des facs décrétée par le pouvoir gouvernemental quand les choses tournaient mal pour lui. Quelques images fixes de manifestations parsèment le film comme le signe de séquences coupées et perdues jusqu'à aujourd'hui. Le réalisateur va mettre de l'eau dans son vin dans les deux séquelles qu'ils tournera par la suite. Des films plus conventionnels autour des amourettes des personnages, un peu comme Truffaut a fait avec le personnage d'Antoine Doinel. Des débuts prometteurs du réalisateur, il ne restera qu'une légende car il trouva la mort en 1979 des suites d'un arrêt cardiaque.

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