« Aujourd’hui l’éternité », recueil de poèmes de Ku Sang choisi, traduit du coréen et présenté par Roger Leverrier, paru aux éditions de La différence en 1997.

* Présentation du poète :
Roger Reverrier, missionnaire et traducteur présente Ku Sang comme suit :
« Né à Séoul en 1919, au lendemain du Mouvement de l’Indépendance du 1er mars, dans une Corée annexée depuis neuf ans et opprimée sous le joug colonialiste japonais, dans une famille profondément catholique, alors que son père est fonctionnaire, Ku Sang quitte la capitale à l’âge de quatre ans : son père a abandonné la fonction publique et s’en va travailler dans un établissement d’enseignement fondé par les Bénédictins allemands à Togwon, dans les environs de Wonsan, une ville portuaire située au Nord-Est de la péninsule coréenne (appartenant aujourd’hui au territoire de la Corée du Nord).
La famille ayant acheté des terres, l’enfant ne tardera pas à nouer des liens profonds avec la nature, la terre et le travail des champs : presque toute la population du petit village où habite la famille s’adonne à la culture du riz, des légumes et des arbres fruitiers.
Né alors que son père était âgé de cinquante ans et sa mère de quarante-quatre ans, il sera l’objet d’une attention et d’un amour exagérés, qui ne manqueront pas de provoquer chez lui certains mouvements de révolte. Ses lectures aidant – il se souvient tout particulièrement des lectures des Maximes de La Rochefoucauld –, encore adolescent, il est déjà surnommé « le doctrinaire », expression qui, à l’époque, est employé pour désigner les intellectuels mécontents et révoltés contre la société et l’ordre établi. Cela lui vaut d’ailleurs de nombreuses visites à la police – japonaise à l’époque – qui n’est guère compréhensive envers ceux qui revendiquent. [...]
Se destinant, comme son aîné resté en Corée du Nord, au sacerdoce, le jeune Ku Sang entre au petit séminaire, mais il abandonne cette voie avant la fin de ses études secondaires ; admis dans un autre établissement secondaire, il en est bientôt renvoyé. Les souvenirs de cette période de sa vie seront par la suite le thème d’une série de poèmes sous le titre : « Même les nœuds des cognassiers... », dans lesquels le poète nous révèle le cheminement moral de sa jeunesse. »

Arrivé au Japon pour ses études supérieures après une traversée clandestine, Ku Sang est admis à l’Institut Supérieur Meiji, où il étudiera les religions comparées. Le séjour à Tokyo et les études contribueront à établir sa vision de l’homme, du monde et de l’univers. C’est aussi durant ce séjour au Japon qu’il découvre Claudel, Gabriel Marcel et Camus.
Et voici un extrait de la présentation de la maison d’édition de son recueil « Aujourd’hui l’éternité » :
« Sa vie se trouve mêlée aux dramatiques événements vécus par le peuple coréen tout au long du vingtième siècle : colonisation japonaise, Libération, Guerre fratricide entre la Corée du Sud et la Corée du Nord, misère, puis processus de démocratisation et d’industrialisation avec ses séquelles, tout particulièrement la destruction des valeurs traditionnelles. »

* Extrait du poème « Même les nœuds des cognassiers » :
Une vache muselée,
Le museau couvert
D’écume et de bave !

A mes yeux âgés de quatre ans,
L’existence avait le visage de cette bête,
Le visage de ce condamné au gibet,
Ce visage que le sang et la sueur imprimèrent
Sur le linge tendu par une femme de Jérusalem.

Dans le crépuscule d’un chemin fangeux
Accroché comme une glissoire
Au flanc d’une montagne toute noire,
Perché sur la charrette qui marchait en tête,
J’ai senti l’éclosion de mes premiers bourgeons
Dans le visage de la vache qui suivait,
Chargée d’une armoire de la dynastie des Yi
Attachée avec des cordes,
Et j’ai sangloté.